Histoire du tourisme à Morgat
Patrimoine Morgat« La côte de Dinan jusqu’à la pointe de la Chèvre a quatre-vingt à quatre-vingt-dix pieds d’élévation, elle n’offre d’objets remarquables qu’au peintre qui voudroit placer dans ses tableaux de superbes fonds de rochers ».
Jacques Cambry annonce, dès janvier 1795, le développement à venir du tourisme en presqu’île de Crozon. Les infrastructures pour accueillir les visiteurs sont alors inexistantes.
Pourtant, le 5 janvier 1884, à Montbéliard (Doubs), Charles Louis Richard, négociant, Charles Lalance, propriétaire, Eugène et Armand Peugeot, manufacturiers, fondent la L. Richard et Cie, une société destinée à créer un hôtel et un établissement de bains à Morgat et au Portzic. Dans les semaines qui suivent la société acquiert de nombreuses parcelles dans le but de « fonder une station balnéaire sur la plage de Morgat et d’y attirer, dans l’intérêt général, du pays le plus grand nombre d’étrangers ».
Parallèlement au développement de la station balnéaire de Morgat se mettent en place les premières protections des sites naturels tel que le permet la nouvelle loi du 21 avril 1906. Dans les années 1980, le développement touristique de la commune misera sur la préservation des sites naturels et leur ouverture au public. Trez-Rouz (1978), l’étang du Fret (1981) et le Cap de la Chèvre (1983) sont désormais classés au titre de la loi du 2 mai 1930. Une ambitieuse politique d’acquisition de ces espaces naturels se met en place avec la collaboration du Conservatoire du Littoral.
Là où les capacités hôtelières déclinaient il y a quelques années, nécessitant l’intervention des collectivités locales et territoriales (Hôtel Sainte-Marine, Grand Hôtel de la Mer), on voit aujourd’hui se créer des résidences de tourisme offrant de nouvelles perspectives d’avenir pour Crozon-Morgat.
Le décret paru au journal officiel du 19 décembre 2012 hisse au rang de « station classée de tourisme » la commune de Crozon-Morgat, plus haut label en la matière pour une durée de 12 ans.
Historique complet
« C’est un des charmes de ce pays crozonnais, qu’on s’y peut attendre à toutes les surprises. On imaginerait difficilement une côte plus riche en contrastes. L’exquis et le farouche s’y coudoient ; et lorsqu’on pense avoir tout exploré, c’est le plus admirable, le plus saisissant qu’il reste à découvrir… Car c’est tout naturellement que les images légendaires s’évoquent en ces lieux. Elles s’imposent d’elles-mêmes à l’esprit le moins poétique, devant la surhumaine, la prestigieuse majesté du décor. Il n’y a ici qu’une définition qui convienne : c’est un paysage de mythologie » s’extasiait Anatole Le Braz découvrant Morgat et le Cap de la Chèvre à la fin du XIXème siècle (La Terre du passé).
Certes depuis, ici comme ailleurs, on a construit sur la côte et les « monotones croupes chauves » se sont couvertes de forêts de pins maritimes… Mais ici, plus qu’ailleurs, on a également su préserver des espaces de nature. Il s’agit probablement de l’un des sites littoraux les mieux préservés de Bretagne. Et s’il en est ainsi, c’est aussi parce que depuis longtemps déjà ces somptueux paysages sont la base du développement touristique.
« La côte de Dinan jusqu’à la pointe de la Chèvre a quatre-vingt à quatre-vingt-dix pieds d’élévation, elle n’offre d’objets remarquables qu’au peintre qui voudroit placer dans ses tableaux de superbes fonds de rochers ». Jacques Cambry annonce, dès janvier 1795, le développement à venir du tourisme en presqu’île de Crozon. La pointe de Dinan, l’arche du Kador (« la Porte ») et les grottes marines ont particulièrement impressionnées le président du district de Quimperlé dont la mission initiale était de dresser un état de « tous les objets précieux qui peuvent intéresser les progrès des connaissances humaines ». « La péninsule de Crozon est sans contredit le point le plus remarquable et le plus curieux de toutes les côtes du Finistère, tant sous le rapport géologique que sous celui de l’archéologie… » surenchérit à son tout le chevalier de Fréminville en 1835. « Ses rivages, continuellement sapés par les efforts d’une mer orageuse, sont accidentés de mille et mille manières, et présentent les aspects les plus singuliers, les plus extraordinaires et les plus imposans. Ainsi l’on voit dans l’anse de Dinan une arcade naturelle d’une admirable hardiesse, et dans celle de Morgatte, ces belles grottes que les étrangers, et même les parisiens, s’empressent de venir contempler, et où ils se convainquent que les grandes sciences de la nature l’emportent beaucoup sur tout le prestige que peuvent produire les merveilles de l’art ». Déjà la presqu’île de Crozon attire le voyageur en quête de pittoresque, d’une nature sauvage et primitive. La forte identité paysagère de la péninsule marque à jamais le visiteur de ce bout du monde : « château de Dinan », pointes de Penhir ou du Toulinguet, et surtout grottes marines de Morgat et du Cap de la Chèvre. C’est en fait le combat infini de l’océan qui se rue à l’assaut de la terre et la modèle, qui frappe l’imaginaire des auteurs. « Morgat est devenu célèbre par ses grottes souvent pittoresquifiées et devenues presque « ficelles » à force d’être rabachées » s’emporte Fortuné du Boisgobey lorsqu’il constate qu’il ne peut se procurer un bateau, le 23 août 1839, pour les visiter. Un seul est disponible, mais il est occupé par « toute une caravane de messieurs, têtes de jobards pour la plupart, conduits par un habitant du lieu et qui allaient voir les grottes dans un canot propriété du susdit ». Il reviendra cependant le lendemain et en ressortira émerveillé. C’est d’ailleurs dans la « grotte de Morgat » que Jules Verne a localisé l’intrigue de l’un de ses romans, « le comte de Chanteleine » (1864), donnant probablement naissance par la même occasion au mythe de la célébration de messes clandestines dans cette grotte à l’époque révolutionnaire. Les artistes à leur tour découvrent les rivages de Crozon et ce sont les mêmes lieux qu’ils peignent, qu’ils gravent : la pointe des Grottes pour Eugène Cicéri, la pointe des Dinan et les grottes de Morgat pour Etienne Auguste Mayer (1843). Outre pour la beauté des paysages, on vient également en presqu’île de Crozon pour la chasse des oiseaux de mer abondants sur les falaises, comme le fit Joseph Emile Gridel en mais 1862. Descendu à Crozon à l’Hôtel du Commerce tenu par Mme Renoult, il partage son temps entre la peinture, la découverte des grottes marines et la chasse.
Les infrastructures pour accueillir ces visiteurs sont encore peu nombreuses, mais peu à peu des hôtels se construisent dans les bourgs ou dans les endroits les plus reculés. A Morgat cependant le projet est d’une toute autre ambition. Le 5 janvier 1884, à Montbéliard (Doubs), Charles Louis Richard, négociant, Charles Lalance, propriétaire, Eugène et Armand Peugeot, manufacturiers, fondent la L. Richard et Cie, une société destinée à créer un hôtel et un établissement de bains à Morgat et Porzic. Dans les semaines qui suivent la société acquiert de nombreuses parcelles dans le but de fonder « une station balnéaire sur la plage de Morgat et d’y attirer dans l’intérêt général du pays le plus grand nombre d’étrangers ». Le lotissement est organisé selon un cahier des charges très strict. On y refusera toujours, par exemple, commerces, casino ou colonies de vacances. Quelques années plus tard, la société deviendra Société anonyme de la Plage de Morgat. Si la station se développe sur le littoral de Kerigou et du Portzic, d’importantes réserves foncières se constituent également à l’est, à la pointe des Grottes et à la pointe du Menhir, et au sud, à la pointe du Kador, Porzh an Dour, voire au-delà en direction du Cap de la Chèvre. Pour ériger les villas de sa station balnéaire, Armand Peugeot fait rapidement appel à un architecte brestois Abel Chabal, mais c’est surtout le fils de ce dernier, Gaston Chabal, qui en sera en fait l’architecte quasi exclusif, y développant un style particulier que l’on nommera plus tard le Pittoresque breton, inspiré du Pittoresque anglais et d’emprunts à l’architecture traditionnelle bretonne. C’est entre les deux guerres que la station balnéaire de Morgat connait ses plus belles heures. Avec elle naît également la plaisance à Morgat puisque le préfet autorise, le 31 juillet 185, Louis Richard à mouiller une ancre de sûreté avec chaîne et flotteur pour l’amarrage d’un bateau de plaisance « aux abords du port ». A. Peugeot a également fait construire à Camaret un petit yacht qu’il nomme Ville d’Ys.
A Morgat, A. Peugeot se fait également armateur, faisant construire ses navires à Camaret (Comtois, 1907) ou les achetant en Grande-Bretagne (Express, 1895). A cette époque, l’essentiel des échanges commerciaux et les visiteurs viennent par la mer, en particulier par Le Fret qui doit pour partie son développement au tourisme. C’est là que les calèches, puis les autobus, viennent chercher les clients pour les hôtels de Morgat, se livrant à une sévère concurrence. Le Grand Hôtel de la Mer d’Armand Peugeot qui a succédé à l’Hôtel de Morgat, n’est en effet pas le seul de Morgat. Il faut aussi compter sur l’Hôtel de la Plage de la famille Téréné, l’Hôtel Hervé, l’Hôtel Sainte-Marine… La construction du pont de Térénez (1925) et de la ligne de chemin de fer Châteaulin-Camaret (1923-1925) favorisera bientôt l’arrivée de nouveaux estivants. Après-guerre, les populations du Centre-Finistère découvraient ainsi les plages de la presqu’île de Crozon grâce à ce train qui fonctionna jusqu’en 1967. De cette ligne il subsiste plusieurs gares à l’architecture unique sur le réseau ferroviaire français, inspirée de l’architecture balnéaire de Morgat, et l’assiette de la voie qui sert en grande partie de chemin de randonnée et qui sera prochainement transformée en Voie Verte.
Parallèlement au développement de la station balnéaire de Morgat se mettent en place les premières protections des sites naturels tel que le permet la nouvelle loi du 21 avril 1906. De 1907 à 1909, la commission départementale des sites mène un important travail d’inventaire et propose au classement les grottes naturelles de Morgat, « les fantastiques ruines naturelles connues sous le nom de château de Dinan », la pointe du Kador… Un travail similaire est mené dans le domaine historique, et plus particulièrement dans celui de l’archéologie. Plusieurs sites tels le rocher dit « le Coz Sevellec », les falaises et grottes du Cap de la Chèvre sont classés dès 1910. La vision de l’espace est cependant parcellaire, on ne raisonne pas encore sur un ensemble paysager, mais simplement sur des éléments de paysage, sur des monuments naturels à l’instar des monuments historiques. En outre le classement nécessite l’accord préalable du propriétaire. Si la loi de 1906 constitue donc un premier pas important pour la préservation des espaces naturels, il faut cependant attendre la loi du 2 mai 1930 qui élargit le champ d’action de la Loi et qui crée deux niveaux de protection (le classement et l’inscription sur liste supplémentaire) pour progresser plus rapidement. La commission des sites s’intéresse désormais au classement d’une bande littorale s’étendant du Kador au Cap de la Chèvre et à celui de la pointe de Dinan (1937). La commune souhaite quant à elle le classement de la pointe du Menhir (1938). La guerre va interrompre ces projets. Toutefois, le propriétaire de la pointe du Menhir fit don, en 1942, de cet espace à la commune à la condition cependant qu’il soit conservé en l’état.
Après la guerre, le tourisme semble quelque peu oublié dans un premier temps, l’urgence étant à la reconstruction. Rapidement toutefois de nouveaux projets destinés à revitaliser le tourisme voient le jour, notamment à partir de 1966 avec la création d’un syndicat intercommunal pour le développement touristique de la baie de Douarnenez. Il est vrai que le maire de Crozon est alors président du Comité régional du Tourisme. Il s’agit de transformer la baie de Douarnenez en un vaste stade nautique comptant plusieurs ports de plaisance (Morgat, Aber, Trez-Bellec, Douarnenez, Ty-Anquer) et des ensembles résidentiels sur ses rivages, tout en préservant un certain nombre de sites naturels emblématiques. On fait alors référence au Languedoc-Roussillon. C’est à cette époque que sera réalisé le port de plaisance de Morgat qui participe largement depuis à la démocratisation de la plaisance. Le tourisme se fait plus populaire. Il est également envisagé d’ériger une grande station balnéaire à l’Aber pouvant accueillir globalement de 15 à 20000 estivants comportant golf, cité lacustre et port de plaisance pour 1500 à 2000 unités. Le site s’y prêtait d’autant plus facilement qu’il avait été endigué et totalement asséché en 1958. Mais les associations (Comité des Sites et de l’Environnement, SEPNB) dénoncent le projet et réclament son abandon, comme elles réclament la protection absolue d’une large bande côtière, l’interdiction du camping sur le littoral, la protection des dunes contre les véhicules à moteur, le développement des promenades pédestres et équestres, la protection des zones humides, le développement d’un tourisme social (gîtes ruraux, camping à la ferme…). Le projet de l’Aber vacille en 1973. On réclame le rachat du site et sa remise en eau. Finalement le site de l’Aber est acquis en 1980 par le Conservatoire de l’Espace Littoral qui s’empresse de détruire la digue élevée en 1958. Il s’agit notamment pour lui de retrouver des frayères au bénéfice de la baie de Douarnenez. Cette action menée en 1981 constitue une première à l’échelle européenne.
Désormais le développement touristique de la commune ne s’appuiera plus sur l’urbanisation du littoral, mais sur la préservation des sites naturels et leur ouverture au public. Trez-Rouz (1978), l’étang du Fret (1981) et le Cap de la Chèvre (1983) sont désormais classés au titre de la loi du 2 mai 1930. Il s’agit là de la protection d’un vaste ensemble paysager qui s’étend en fait de la pointe des Espagnols à Morgat, qui a notamment pour conséquence de bloquer toute vélléité d’étendre la station balnéaire vers le sud. Ces sites naturels s’ouvrent de plus en plus au public avec notamment la réalisation d’un réseau de sentiers littoraux (47 km à ce jour), doublé, en 1992, d’un vaste réseau de sentiers de randonnées (environ 120 km) ouvert à d’autres activités (VTT, équitation). Une opération « Grands sites » (1983) a permis de réhabiliter un certain nombre de sites emblématiques en reculant le stationnement et en enfouissant les réseaux électriques et téléphoniques. Bientôt une politique foncière de préservation des espaces naturels avec l’aide du Conservatoire de l’Espace Littoral (1700 ha en zone d’intervention) succède à la politique règlementaire. Outre la préservation des paysages, un effort est également consenti pour la préservation de la qualité des eaux de baignade grâce à la réalisation d’une station d’épuration () dont les performances sont désormais accrues, devançant les normes les plus sévères. La création d’un Parc naturel marin sur la Mer d’Iroise en 2007 permet aussi de porter un nouveau regard sur la mer.